20 juin 2024
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Madame la Ministre déléguée chargée des Entreprises,
Mesdames, Messieurs les membres du groupe de travail,
Le 23 avril dernier vous avez annoncé la constitution d’un groupe de travail chargé de faire des propositions sociologiques pour dédramatiser l’échec entrepreneurial et des propositions techniques pour faciliter le rebond entrepreneurial.
Les questions que les membres du groupe de travail doivent se poser sont les suivantes :
-Comment dédramatiser l’échec entrepreneurial ?
-Quelles solutions peuvent être créées pour faciliter le rebond de l’entrepreneur ?
A l’occasion de votre communiqué de presse, vous avez appelé les personnes concernées par ces questions à contribuer librement au projet.
C’est avec beaucoup d’engouement que j’ai appris la nouvelle. Je me réjouis de cette initiative puisque les deux sujets traités sont au cœur de mon métier.
Evidemment, c’est avec joie que je me saisis de cet appel à contribution pour exprimer les réflexions qui nourrissent ma pratique, mes engagements et mes convictions dans le domaine des entreprises en difficulté.
Avant de vous transmettre mes propositions sur les deux thématiques susmentionnées, il me semble essentiel de vous présenter la vision que j’ai de mon travail et mes motivations.
« Où je me situe ? Qu’est-ce que je veux ? ».
Ces questions sont tirées d’un diagramme réalisé en 2007 par le philosophe et artiste Thomas Hirschhorn. A travers ce diagramme, l’artiste illustre sa volonté – en faisant de l’art – de réinventer le monde dans lequel il vit et se réinventer avec.
A l’image de Thomas Hischhorn, j’ai voulu illustrer par un diagramme, mes réflexions sur l’Histoire des défaillances d’entreprises dans laquelle je me situe aujourd’hui et ce que je veux – faire évoluer cette Histoire.
Ce diagramme pourrait être plus détaillé et élargi à d’autres réflexions que j’ai dans mon domaine d’activité.
Ceci étant dit, tout ce qui y figure compte pour moi, tout y est muri.
Je me trouve au centre du diagramme puisque je crois, qu’en tant qu’avocate en droit des entreprises en difficulté, je dois être engagée pour et avec mon métier.
Cet engagement passe par une vision politique – j’entends par politique ce qui à trait au collectif, à une somme d’individualités - de mon entreprise afin de réinventer le domaine dans lequel j’exerce et me réinventer avec.
Avant toute chose, je tiens à préciser que je ne limite pas l’échec entrepreneurial à la perte de l’entreprise mais que je l’élargi aussi à la défaillance économique et financière, au manque de rentabilité, à la rupture dans la continuité.
Cette précision est importante puisque mes propositions pour faciliter le rebond d’un entrepreneur ne se limiteront pas à une temporalité postérieure à la liquidation judiciaire de l’entreprise mais s’étendront à la période antérieure et ce dès que l’entrepreneur éprouve des difficultés dans l’exploitation de son activité.
Constat.
L’échec vécu individuellement. L’entrepreneur vit l’échec comme un drame source d’angoisse, de sidération, de colère, de désespoir et de culpabilité.
La perte de l’entreprise signifie la fin d’un engagement, d’une expérience et parfois même d’un idéal.
L’échec de l’entrepreneur peut même être associé à l’échec de sa personne puisque comme l’écrivait le philosophe Jean Lacroix « Tous nos projets dérivent de ce que nous sommes essentiellement projets. Il ne suffit pas de dire que nous avons des intentions, car toutes nos intentions impliquent et signifient que nous sommes intentions. Les échecs portent sur les intentions que nous avons et l’Echec sur l’intention que nous sommes »
Ainsi, selon une étude réalisée par les chercheurs Thomas Lechat et Olivier Torrès, relayée par l’Observatoire Amarok sur « les risques psycholosociaux du dirigeant de PME : typologie et échelle de mesure des stresseurs professionnels » le « dépôt de bilan » est l’évènement le moins vécu par les dirigeants de PME mais pour autant le plus intense en terme de stress.
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Par ailleurs, selon des statistiques établies par Santé publique France et publiées le 5 février 2024 au sein de l’article « Prévalence des pensées suicidaires et tentatives de suicide chez les 18-85 ans en France : résultat du baromètre santé 2021 », 11 % des hommes et 19,5% des femmes en difficulté financière ont des pensées suicidaires ou on fait des tentatives de suicides.
L’échec entrepreneurial est malheureusement souvent perçu par les autres comme une faute, une incompétence, révélateur d’une mauvaise gestion de l’entreprise. De cette perception sociale erronée découle chez l’entrepreneur un sentiment de honte, de culpabilité et d’isolement.
La peur de l’échec chez les entrepreneurs, parce qu’il est source de traumatisme individuel et de stigmatisation sociale, entraine une réaction de déni, d’évitement.
Le manque d’information sur les procédures de pérennité de l’activité et des emplois est, lui aussi, une des causes de stagnation de la situation de crise.
Le refus de se confronter à l’échec et le manque d’accessibilité du droit empêche donc l’anticipation et conduit à une situation incurable de l’entreprise.
Si l’échec était vécu et perçu différemment, cela modifierait son appréhension, ce qui à mon sens favoriserait une meilleure anticipation des difficultés et en conséquence une diminution du taux des liquidations judiciaires face aux procédures de pérennité de l’activité.
L’échec perçu socialement. L’échec entrepreneurial est malheureusement souvent perçu par les autres comme une faute, une incompétence, révélateur d’une mauvaise gestion de l’entreprise. De cette perception sociale erronée découle chez l’entrepreneur un sentiment de honte, de culpabilité et d’isolement.
La peur de l’échec chez les entrepreneurs, parce qu’il est source de traumatisme individuel et de stigmatisation sociale, entraine une réaction de déni, d’évitement.
Le manque d’information sur les procédures de pérennité de l’activité et des emplois est, lui aussi, une des causes de stagnation de la situation de crise.
Le refus de se confronter à l’échec et le manque d’accessibilité du droit empêche donc l’anticipation et conduit à une situation incurable de l’entreprise.
Si l’échec était vécu et perçu différemment, cela modifierait son appréhension, ce qui à mon sens favoriserait une meilleure anticipation des difficultés et en conséquence une diminution du taux des liquidations judiciaires face aux procédures de pérennité de l’activité.
En effet, il ressort du rapport 2023 “Indicateurs - Procédures collectives et de prévention ” de l’Observatoire des Données Economiques du CNAJMJ, que les liquidations judiciaires représentent 70 % des procédures collectives ouvertes et 60% de l’ensemble des procédures de traitement des difficultés d’une entreprise (prévention et judiciaire confondue). Il faut également souligner que 94% des entreprises concernées par les procédures collectives sont des entreprises de moins de 10 salariés.
Une autre vérité. L’échec est un échec. Il est un événement dramatique pour l’entrepreneur qu’il ne faut pas banaliser. Mais ne pourrions-nous pas y associer d’autres éléments positifs pour adoucir son impact ?
Je pense notamment aux propos du Philosophe Charles Pépin dans son ouvrage « Les vertus de l’échec » qui dresse une vision positive de l’échec et des nombreuses vertus qu’il peut avoir.
Je cite « il n’y a pas une vertu de l’échec, mais plusieurs. Il y a les échecs qui induisent une insistance de la volonté, et ceux qui en permettent le relâchement ; les échecs qui nous donnent la force de persévérer dans la même voie, et ceux qui nous donnent l’élan pour en changer. Il y a les échecs qui nous rendent plus combatifs, ceux qui nous rendent plus sages, et puis il y a ceux qui nous rendent simplement disponibles pour autre chose ».
Comment faire changer.
La parole. « Il faut parler pour remettre en ordre » écrit Boris Cyrulnik.
Tout comme Boris Cyrulnik, je pense que la communication est le meilleur moyen pour faire évoluer les esprits – individuels et sociaux – sur l’échec entrepreneurial.
Chez les étudiants. L’entrepreneuriat est abordé dès les premières années d’études secondaires. A titre d’exemple, l’association 100.000 entrepreneurs transmet « la culture et l’envie d’entreprendre aux jeunes de 13 à 25 ans en France au moyen de témoignages d’entrepreneurs bénévoles ».
Pourquoi ne pas aborder l’échec entrepreneurial de la même manière ? Je pense notamment aux associations membres du portail du rebond qui pourraient partager leurs expériences de l’échec entrepreneurial aux étudiants et faire témoigner des entrepreneurs.
Chez les entrepreneurs. La parole de l’entrepreneur permettra de rétablir sa/la vérité.
L’échec entrepreneurial ne doit plus être dévalorisé mais bien au contraire perçu comme de l’audace, de la progression, de la sagesse et de la réinvention.
“Valoriser l’échec”, je n’utilise pas le terme de glorifier puisque l’échec entrepreneurial n’est pas une gloire mais une étape dans la vie d’un entrepreneur qui lui permet de progresser pour mieux affronter l’horizon.
En ce sens, Samuel Beckettécrivait “Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Echoue encore. Echoue mieux.”
Je pense que pour faire évoluer les esprits, il est utile de personnifier l’échec entrepreneurial. Le rendre humain, l’associer à des personnalités. Même les plus talentueux ont échoué (Xavier Niel, Pierre Gagnaire, J.K. Rowling, Honda).
L’entrepreneur en échec doit sortir de l’isolement et se sentir partie d’une communauté bien plus grande que celle imaginée.
Selon moi, il est également essentiel de donner un sens à l’échec pour le dédramatiser. La fin d’une aventure entrepreneurial doit servir à en créer une autre.
A titre d’exemple, il s’est tenu à San Francisco en 2009, la première conférence internationale sur l’échec (“Failcon”). Cette conférence qui se renouvelle maintenant chaque année et qui connaît un grand succès, fait témoigner des entrepreneurs sur leurs échecs et ce qu’ils leurs ont apportés.
Pourquoi ne pas créer un évènement similaire en France regroupant les entrepreneurs, les professionnels du restructuring, les penseurs, afin d’aborder l’échec entrepreneurial ? L’évènement “Agir pour le rebond”.
Chez les professionnels du restructuring. Dans ma pratique, je m’aperçois que les entrepreneurs appréhendent l’ouverture d’une procédure collective parce qu’ils ont peur, au-delà de l’échec, des institutions – juges, organes de la procédure -.
Au lieux de voir dans l’ouverture d’une procédure de traitement des difficultés un soutien, une aide, un accompagnement, ils y voient une sanction, une dépossession.
Il faut faire évoluer ce regard.
Humaniser la justice, la rendre accessible est à mon sens un des moyens de changer cette perception.
Sur cette voie, je pense à Monsieur Vincent Vigneau, Président de la Chambre Commerciale de la Cour de cassation, qui n’hésite pas à s’exprimer publiquement sur sa profession et ses engagements.
Je pense également à Maître Hélène Bourbouloux qui a publié plusieurs versions du « Guide de l’entrepreneur éclairé » en accès libre. Ouvrage qui donne, de manière très ludique, des clés aux entrepreneurs pour faire face à leurs difficultés.
Ces initiatives, qui humanisent et rendent accessible la justice et notre droit, ne doivent plus être isolées.
Le langage. Tout comme George Orwel l’écrivait dans 1984, le langage -le Novlangue- peut restreindre la pensée humaine.
Le « dépôt de bilan », la « faillite » sont des termes lourds d’un sombre passé. Ils sont dans l’esprit collectif péjoratifs, voir même effrayants.
Je cite le témoignage d’un dirigeant d’entreprise publié dans l’article “Entrepreneurs en détresse cherchent soutien désespérément” de Madame Sonia Boussaguet :
“Vendredi dernier, jour du dépôt au greffe du Tribunal de commerce du dossier de cessation des paiement de mon entreprise dans le but de demander un redressement judiciaire. Voir écrit cela fut pour moi un choc psychologique important, même s’il était évident que mon entreprise était malade. Je ne vais rien vous apprendre en vous disant que j’espérais toujours la “sauver” sans passer par des procédures qui déjà dans les mots m’effraient”
En plus d’être négatif, ces deux mots occupent l’intégralité du débat publique.
En tant qu’avocate en restructuring, je constate que la majorité de mes clients n’ont pas connaissance de l’existence d’autres procédures de traitement des difficultés. J’ai également fait ce constat au cours de mes permanences au CIP 75 et plus globalement au sein de mon entourage.
Le “dépôt de bilan”, la“faillite” sont les uniques termes employés pour évoquer les difficultés d’une entreprise.
Il faut dépoussiérer ces termes et élargir le vocabulaire utilisé pour parler des difficultés d’une entreprise.
Anticiper, sauver, sauvegarder, pérenniser, redresser, rebondir, rebâtir, rattraper, surmonter, échouer, rater, louper.
Je suis persuadée que pour faciliter le rebond des entrepreneurs il ne suffit pas d’agir après la perte de l’entreprise mais il convient de mener des actions avant les difficultés et pendant leur traitement.
C’est pourquoi, je m’attacherai à formuler des propositions pour faciliter le rebond des entrepreneurs aux termes des trois temporalités suivantes : (i) avant, (ii) pendant et (iii) après les difficultés.
Constat.
Manque de connaissance du panel d’outils juridiques à la disposition de l’entrepreneur pour faire face à ses difficultés et les surmonter. En France, nous disposons, à la différence d‘autres pays, d‘outils juridiques variés et qui on su monter leur efficacité pour le traitement des difficultés d‘une entreprise.
Toute la frustration est dans le manque d’usage des différents canaux de traitement des difficultés d’une entreprise.
Selon le rapport d’Altares “Etude de défaillances et sauvegardes des entreprises en France”, sur les 5 dernières années, la proportion des liquidations judiciaires est en moyenne de 70% des procédures collectives ouvertes.
Il faut inverser ces courbes vers une majorité de procédures de pérennité de l’activité et de sauvegarde de l’emploi.
Comment faire changer.
Orienter l‘entrepreneur. Il faut créer un support papier et dématérialisé regroupant la multitude d’acteurs et de procédures pour le traitement des difficultés d’une entreprise.
L’entrepreneur n’a ni connaissance des acteurs institués pour l’aider à surmonter ses difficultés - CCSF, Commissaire aux restructurations et prévention des difficultés, Médiateur du crédit, Médiateur des entreprises, Centre d’information sur la prévention des difficultés, CIRI, CODEFI, AGS, Conciliateur, Administrateur judiciaire, Avocat - ni des différentes procédures - médiation, mandat ad-hoc, conciliation, prépack, sauvegarde accélérée, sauvegarde, procédure de traitement de sortie de crise, redressement-.
Il serait à mon sens utile de centraliser l’ensemble de ces informations sous un format ludique et accessible.
“Pour ne pas se sentir perdu, dans tous les cas les questions plus ou moins conscientes auxquelles nous cherchons à répondre sont les suivantes : “Où sommes-nous?”, “Où allons-nous?”, “Par où devons-nous passer pour nous y rendre?”, “Dans quelle direction devons-nous aller ?” selon Jean-Marc Besse dans “Quelle est la raison des cartes ?”
Selon moi, une carte “la route du rebond”, reprenant les différentes directions et chemins que l’entrepreneur peut prendre pour le traitement de ses difficultés pourrait être un support efficace et intelligible.
Ce support pourrait être transmis aux entrepreneurs dès l’immatriculation de leur entreprise afin d’assurer la transmission des informations aux plus grand nombre.
Former, informer l’entrepreneur et ses partenaires. J’ai eu l’occasion de participer à des conférences abordant les difficultés d’une entreprise à destination des entrepreneurs. J’ai malheureusement constaté que le public est trop souvent peu nombreux.
L’entrepreneur est, soit dans le déni de ses difficultés, soit ne veux pas affronter en public la réalité.
Il faut donc s’adresser, outre aux entrepreneurs, aux tiers qui gravitent autour de l’entreprise, les banques, les experts-comptables, les salariés, les agents publics, les institutions d’accueil des entreprises.
En formant les tiers sur les dispositions de traitement des difficultés d’une entreprise, nous pourrons améliorer le rebond puisqu’ils seront source d’alerte et d’orientation des entrepreneurs.
Multiplier les interventions bénévoles d’orientation des entrepreneurs en difficulté. Je suis avocate bénévole au sein du CIP 75. Nous assurons avec des juges et des experts-comptables une permanence deux fois par mois afin d’orienter les entrepreneurs en difficulté. Je ne peux participer qu’à trois permanences dans l’année puisque le nombre de bénévoles (20) et le calendrier des permanences (seulement deux par mois), ne me permets pas d’en faire plus.
Or, je sais que la CCI Paris est surchargée de demandes d’orientation par des entrepreneurs et n’a pas les moyens de les traiter dans des délais raisonnables. S’il existait une permanence deux fois par semaine d’orientation des entrepreneurs en difficulté, je suis persuadée qu’il y aurait (i) assez de bénévoles pour les assurer et (ii) assez de demandes d’entrepreneurs en difficulté.
Créer un devoir d’alerte à la charge des banques et des experts-comptables. La très grande majorité des entreprises en France ont un banquier et un expert-comptable.
Ces derniers ont bien souvent, à travers leur qualité, connaissance des difficultés économiques et financières que peut traverser une entreprise.
Ne pourrions-nous pas, à l’image du devoir de conseil et d’information à la charge des établissements bancaires, créer un devoir d’alerte à la charge des banques et des experts-comptables ?
Le devoir d’alerte pourrait se limiter à la transmission par la banque ou l’expert-comptable de “la route vers le rebond”, le support centralisant l’ensemble des dispositions de traitement des difficultés des entreprises.
Même si le devoir d’alerte n’est pas assujetti à une sanction, je pense qu’il pourrait tout de même favoriser la participation des partenaires de l’entrepreneur dans le traitement de ses difficultés.
Constat.
Les reprises d’entreprises en difficulté. Une des solutions de sortie de crise de l’entreprise réside dans sa reprise par un tiers. La reprise tend à la sauvegarde de l’activité et des emplois ainsi qu’au désintéressement des créanciers à travers le prix de cession.
Cette opération salvatrice est pourtant trop peu mise en œuvre en pratique.
Soit l’appel d’offres de reprise n’aboutit pas faute de trouver un repreneur qui se présente, soit l’entrepreneur n’anticipe pas suffisamment les difficultés ce qui l’empêche de bénéficier d’une procédure susceptible de mettre en œuvre un plan de cession.
Dans les deux cas, la méconnaissance de cet outil de restructuration y joue pour beaucoup.
Selon les chiffres observés par l’observatoire BCPE, relatif au nombre de reprise d’entreprise déclaré en France, la reprise d’entreprise est en constante diminution : -19% entre 2010 et 2019 puis -16% entre 2020 et 2021.
La fermeture d’une entreprise peut aussi déboucher sur la perte d’un savoir-faire, de la compétitivité et selon les secteurs de notre souveraineté économique.
Comment faire changer.
Communiquer sur la reprise d’entreprises en difficulté. Comme je l’ai évoqué précédemment, 94% des entreprises concernées par des procédures collectives sont des entreprises de moins de 10 salariés.
En parallèle, selon une étude de l’observatoire BPCE de 2018, 80% des 50.000 entreprises qui changent de propriétaires chaque année sont des entreprises de moins de 10 salariés.
Aussi, les TPE objets des procédures collectives pourraient potentiellement intéresser des repreneurs et conduire à la sauvegarde de l’activité si la reprise est bien calibrée, les besoins de financement calculés ainsi que les perspectives de retournement étudiés.
Faciliter la rencontre entre l‘entreprise en difficulté et l’offre de reprise. En France, les Administrateurs et Mandataires judiciaires lancent des appels d’offres de manière indépendante et variée. Il n’existe pas de site internet ou de média centralisant l’intégralité de ces appels d’offres.
Les repreneurs n’ont donc pas facilement accès aux informations pouvant pourtant les intéresser.
Pourquoi ne pas créer un site internet permettant un accès gratuit aux appels d’offres lancés, en complément des moyens traditionnels de communication sur une reprise ?
Améliorer la valorisation de l’offre de reprise d’une entreprise en difficulté. Dans le cadre d’une procédure collective, il faut améliorer la transparence des termes et conditions des différentes offres déposées par les candidats repreneurs afin d’améliorer la concurrence et de fait la valorisation de l’offre.
En théorie, les offres de reprise ne sont pas confidentielles et peuvent être consultées au greffe.
En pratique, certains greffes diffusent sur leur site internet les offres déposées, d’autres obligent une consultation en physique sans la possibilité de faire de copie ou de photos. Certain Administrateur judiciaire dressent des tableaux synoptiques des offres et d’autres non.
Je me souviens d’une consultation d’offres au greffe du Tribunal de commerce de Lille où je n’ai pas eu le droit de faire de copie des offres déposées, au nombre de 7 et dont chacune faisait a minima 50 pages. Vous imaginez que l’étude de ses offres et leur retranscription à la main afin de permettre à mon client, candidat repreneur, d’améliorer son offre en fonction des autres, ne m’a pas été facilité.
Il faut uniformiser les pratiques vers une diffusion dématérialisée des offres déposées à l’ensemble des candidats repreneurs afin qu’ils puissent, de la meilleure des manières, améliorer leur offre.
Faciliter l’intégration du dirigeant de l’entreprise en difficulté à la reprise. En France, le dirigeant de l’entreprise n’a pas le droit de reprendre son entreprise dans le cadre d’une procédure collective, sauf autorisation du Tribunal sur requête du procureur. On comprend aisément pourquoi. Toutefois, je pense que dans certain cas l’association du dirigeant de l’entreprise à un projet de reprise par un tiers pourrait être plus communément admis afin de permettre une certaine continuité dans l’exploitation de l’activité.
A l’heure de “l’incarnation” de l’entreprise par le dirigeant, il me semble que l’association du dirigeant à la reprise pourrait être bénéfique tant pour ce dernier que pour le repreneur.
Horizontalité du droit des entreprises en difficulté. L’horizontalité du droit des entreprises en difficulté, en ce qu’il s’applique uniformément à tous les dirigeants et toutes les entreprises sans distinction du domaine d’activité ou du modèle juridique, économique et financier, atteint certaines limites.
Depuis quelques années nous constatons que les difficultés d’entreprises se concentrent sur un nombre restreint de domaines d’activité. En 2023, les secteurs du commerce, de la construction et de la restauration-hôtellerie représentaient à eux seuls 50% des entreprises en difficultés. En 2021 et 2022, il étaient également les trois premiers secteurs les plus touchés.
Pourquoi ne pas réfléchir à des dispositions légales propres aux spécificités des grandes catégories de domaines et modèles d’activité touchés afin de permettre une meilleure efficacité du droit des entreprises en difficulté ? En d’autres termes, pourrions-nous créer des dispositions de traitement des difficultés prenant en compte la typologie des difficultés des entreprises selon leur domaine d’activité ?
Amoindrir les marqueurs des difficultés d’une entreprise. L’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire est mentionnée sur l’extrait K-bis de l’entreprise en difficulté pour une durée minimale de deux ans à compter de l’adoption du plan.
Il s’agit là d’un marqueur négatif fort pour les tiers qui peut influer sur le niveau d’activité de l’entreprise en difficulté déjà fragilisée.
Pourquoi ne pas limiter l’inscription au K-bis de ces mentions dans la limite de l’adoption du plan de sauvegarde pour cette procédure et au plus tard 1 an après l’adoption du plan de continuation dans le cadre du redressement judiciaire ?
Autre marqueur négatif fort, la dégradation de la cotation Banque de France. Les entreprises soumises à un plan de sauvegarde ou un plan de continuation se voient attribuer la note de 6 sur 8 (étant précisé que 8 est la plus mauvaise note et 1 la meilleure).
Par ailleurs, dès lors que la Banque de France enregistre un incident de paiement, la cotation est immédiatement dégradée (passant à 7 voir 8). Aussi, dans le cadre d’une procédure amiable portant sur la restructuration de la dette, l’entreprise en difficulté peut voir sa cotation Banque de France dégradée.
Ne pourrions-nous pas supprimer la dégradation de la cotation Banque de France en cas d’homologation de l’accord de conciliation ?
En cas d’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire, pourrions-nous limiter la dégradation de la cotation dans le temps ?
Constat.
Selon une étude commandée en 2016 par Madame Fleur Pellerin, à l’époque Ministre de la culture et de la communication, la France est le pays d’Europe où l’on met le plus de temps à rebondir après un échec entrepreneurial. Il faut en moyenne 9 ans pour se remettre d’un échec professionnel en France contre 6 ans en Allemagne et 1 an au Danemark.
Pour réduire ce délai, il faut diminuer l’impact économique, financier, social, psychologique et physique que peut avoir l’échec entrepreneurial sur l’entrepreneur.
Comment faire changer.
Accès au droit. L’entrepreneur qui fait face à la perte de l’entreprise fait également face à la perte de ses revenus. Dans cette situation financière dégradée, l’entrepreneur n’a pas les moyens de se faire accompagner et conseiller par un avocat dans le cadre de cette procédure.
Or, il existe en France l’aide juridictionnelle qui permet aux plus démunis de bénéficier d’une aide totale ou partielle financière pour supporter les honoraires d’avocats.
Les entrepreneurs n’ont malheureusement pas connaissance de l’aide juridictionnelle. Il est donc essentiel de transmettre à l’entrepreneur dès l’ouverture d’une procédure collective un formulaire d’aide juridictionnelle et le cas échéant une liste d’avocats spécialistes du restructuring susceptibles d’accepter l’aide juridictionnelle.
Aide financière au rebond. Les entrepreneurs n’ont parfois plus les moyens de vivre dignement après la perte de l’entreprise et de leurs revenus. Il faut leur permettre de bénéficier d’une aide financière afin qu’il puisse faire face à leurs charges de vie personnelle et, à terme, rebondir.
Limiter l’usage systématique au cautionnement du dirigeant en garantie des emprunts bancaires souscrits pour le compte de l’entreprise. Le rebond d’un entrepreneur après une liquidation judiciaire est d’autant plus difficile si ce dernier doit faire face au remboursement des prêts bancaires de l’entreprise liquidée au titre des cautionnements consentis.
Dans le cadre d’exploitation de TPE, je m’aperçois dans ma pratique, que la grande majorité des entrepreneurs ont consenti des cautionnements personnels pour le compte de leur entreprise. Les banques sont de plus en plus réticentes à prêter des fonds en l’absence de garanties.
Ne pourrions-nous pas réfléchir à des dispositions qui viendraient limiter l’usage systématique de ces garanties personnelles ? Ou bien réfléchir à des dispositions qui limiteraient l’efficacité de ces garanties ou la proportion des fonds garantis dans des cas spécifiques ?
Accélérer les délais de procédure. Il existe une procédure de liquidation simplifiée qui permet de clôturer une procédure dans des délais très courts. Toutefois, les liquidations judiciaires simplifiées sont souvent converties en procédure de liquidation judiciaire classique, dont les délais de clôture peuvent être très longs.
La longévité de cette procédure pèse sur l’entrepreneur et l’empêche d’aller de l’avant. Il faut, à mon sens, réduire considérablement les délais de clôture d’une procédure de liquidation judiciaire. Pourquoi ne pas l’aligner au délai de prescription de l’action en insuffisance d’actif et de faillite personnelle, à savoir 3 ans maximum à compter du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire ?
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